Piliers de béton
L’AUDACE CONSISTE À FAIRE SILENCE
Puisque notre monde est au bruit, l’audace consiste à faire silence. Nous vivons un temps où le silence est un luxe. Ce luxe ne nous est jamais donné ; il convient d’en faire la conquête. Agne atteint au silence par la patiente pénétration de son regard. Son audace réside dans le silence sidéré que son regard nous impose. Agne a osé photographier les trente-six piliers de béton de la cour du lycée Champollion de Grenoble. Il a osé, une journée durant, tourner autour de la clôture du vieux lycée, encombré de sa lourde chambre d’atelier, de son escabeau et de tout un attirail propre à mettre en œuvre son protocole photographique — sous le regard perplexe des passants. Pour le coup, la perplexité du passant tenait moins au lourd appareillage déballé (l’homo mediaticus en a vu bien d’autres) qu’au motif incongru de ce déballage : photographier d’anodins piliers de béton, mis à mal par l’acidité de l’air et les intempéries. Car Agne a osé surtout prendre pour sujet un parfait non sujet. L’audace du photographe tient à cela : elle donne sens à l’insignifiant, pose pour établi que le non-lieu a lieu d’être ; et nous fait entendre la rumeur du silence.
Jean-Louis Roux
10 février 2008